20 – JOSÉPHINE ARRÊTÉE

Les visages un peu sévères de Mme Guinon, de Julie, de la Coquette, s’éclairèrent soudain. Bouzille, le chemineau qui avait été relâché par la police au lendemain de la rafle de la rue de la Charbonnière, venait de déboucher la bouteille de vermouth et Joséphine très affairée apportait les verres sur la table.

Joséphine recevait dans son petit logement. On allait déjeuner entre amis. Sur le buffet, des plats appétissants attendaient, une bonne odeur d’oignons roussis émanait du réduit obscur dans lequel la jolie maîtresse du Loupart faisait, sur le gaz, une cuisine rapide.

— Sec ou gommé ? interrogea Bouzille.

La dégustation de l’apéritif délia les langues. On se mit à causer. Du fond d’un tiroir, Joséphine, tout en vaquant aux préparatifs du déjeuner, avait extrait un jeu de cartes sur lesquelles se jeta la Coquette, cependant que Julie lui recommandait :

— Coupe de la main gauche et pense à ce que tu fais, on va voir s’il y a de l’argent pour nous, dans le jeu !

***

Depuis trois jours que Joséphine était revenue de voyage, elle n’avait pas vu le Loupart. Celui-ci après avoir abandonné l’automobile dans un terrain vague des fortifications, s’était éclipsé avec le Barbu, recommandant seulement à sa maîtresse de rentrer chez elle et d’attendre de ses nouvelles.

L’affaire du Simplon-Express avait eu un grand retentissement. Si les gens du monde s’étaient tous considérés comme étant un peu menacés par l’attentat criminel, les gens de la pègre, eux s’étaient sentis menacés par la police. L’affaire allait déterminer des recherches minutieuses, qui pourraient bien faire découvrir chez les uns et les autres des peccadilles que chacun préférait voir rester dans l’ombre. Certes, aucun nom n’avait été prononcé, mais dans le quartier de la Chapelle et particulièrement dans l’îlot de la Goutte d’Or et de la rue de Chartres, on avait remarqué que l’absence des principaux membres de la bande des Chiffres coïncidait avec la date du drame. On s’était étonné de ne point voir réapparaître le Loupart dans son sillage.

Joséphine s’était dit qu’il fallait à toute force soustraire le voisinage à cette mauvaise impression et c’est pourquoi elle avait décidé d’offrir à déjeuner à ses plus intimes amies qui étaient peut-être aussi ses adversaires les plus inquiétants, car des filles telles que la Coquette et Julie, voire même la grande Ernestine, ne pouvaient être que jalouses de Joséphine qui était la maîtresse d’un grand chef et la plus jolie personne du quartier.

Comme on s’asseyait autour de la table et que ces dames, sans vergogne, attaquaient avec leurs doigts les rondelles de saucisson, la porte s’ouvrit : c’était la mère Toulouche. Elle s’effaça pour introduire, dans l’embrasure, un volumineux panier.

— Ma foi s’écria la vieille receleuse, j’ai senti comme ça qu’on allait faire la bombe chez Joséphine et je me suis dit : pourquoi la mère Toulouche n’en serait pas ?

— Tu sais, Fifine, observa-t-elle, si je m’invite sans façon, c’est rapport à ce que j’apporte ma part, il y a là des portugaises et deux douzaines d’escargots qui feront pas mal dans le tableau, je suppose ?

On acclama la mère Toulouche, Bouzille s’empressa d’aller vérifier la déclaration de la marchande :

— Des fois, avait-il suggéré, que la mère Toulouche nous monterait le coup et qu’il n’y aurait dans son panier que des écailles vides...

Avec la deuxième bouteille de rouge, les têtes commencèrent à s’échauffer, la conversation se généralisa. La Coquette était radieuse.

— Les cartes m’ont annoncé, fit-elle, de l’argent et de l’amour ! tu comprends ma copine, ajoutait-elle en se penchant vers Julie, qu’à mon âge c’est des trucs auxquels on ne s’attend guère.

La mère Toulouche observa gravement :

— Faut pas blaguer, les cartes ça dit toujours des vérités. Ainsi moi qui vous parle, aussi vrai que je m’appelle la mère Toulouche, j’ai vu mon premier amant dans mon jeu, quinze jours avant de coucher avec lui...

Soudain, Joséphine, qui, malgré la gaieté générale redevenait par instants préoccupée, distraite, se leva et courut à la porte. On avait frappé.

L’entretien qu’elle eut sur le palier d’abord, puis dans la pièce, avec le visiteur qui s’était discrètement annoncé, ne fut guère pour la rassurer. C’était le petit Paulot, le fils de la concierge :

— La mère m’a dit comme ça, madame Joséphine, de monter vous prévenir, rapport à ce qu’il est venu tout à l’heure dans la loge deux bourgeois qui demandaient après vous... des bourgeois à tenue spéciale, ayant bien l’air de ce qu’ils sont...

— Qui c’est-y donc, interrompit Joséphine pâlissant un peu, les connais-tu Paulot ?

— Mais non, madame Joséphine...

— Qu’est-ce qu’ils me voulaient ?

— Ils ont pas dit.

— Ta mère a répondu quoi ?

— J’sais pas !... j’crois qu’elle leur a expliqué que vous étiez dans vot’ carrée...

— Et alors ? insista la jeune femme de plus en plus troublée, l’oreille aux aguets, se demandant déjà si elle n’entendait pas dans l’escalier les mystérieux visiteurs que Paulot détaché en avant-garde lui annonçait.

Le gamin poursuivait, regardant, étonné, le visage inquiet de la jolie fille :

— Faut pas vous biler, madame Joséphine, ils se sont débinés, les bourgeois, peut-être qu’ils viendront plus !

Cette aventure jetait un froid, le silence s’était fait pendant la conversation de Joséphine et du petit Paulot ; on fit boire à celui-ci un grand verre de vin rouge pour le remercier et lorsqu’il fut descendu :

— C’est des flics, déclara gravement la Coquette, j’en mettrais ma main au feu !

Joséphine défaillait :

— Pourquoi qu’ils viendraient demander après moi, murmura-t-elle...

Bouzille esquissa un geste vague :

— Des fois... sait-on jamais !... ces types-là ça se renseigne tout le temps sur tout le monde et ça fait rarement de la bonne besogne !

Julie consolait son amie :

— En tout cas ils ne monteront pas chez toi ; le domicile, c’est sacré !

Brusquement Joséphine éclata :

— Et puis, zut, j’en ai assez d’être comme ça, sans savoir, dans l’anxiété ! D’abord, moi j’ai rien à me reprocher et s’ils veulent m’embêter, je saurai quoi leur répondre !

— Te frappe pas, interrompit Bouzille, d’abord tu n’as qu’à camper bien tranquille dans ta piaule, ils ne viendront pas t’y dénicher...

— Je m’en fous qu’ils viennent, au contraire ! Tiens, j’aimerais presque mieux les voir ici, comme qui dirait devant moi. On s’expliquerait.

— J’comprends, approuva Julie, moi, je serais tout à fait comme elle, plutôt que d’être là sans savoir, j’irais...

— Vas-y donc ma fille, descends dans la rue, probable que tu rencontreras les mouches pas bien loin... sur le trottoir... risque le paquet, va-t’en leur demander ce qu’ils veulent ?

— Eh bien ! oui, s’écria Joséphine, c’est décidé, j’y vais !

— Des fois, lui cria, comme elle s’en allait, la Coquette, des fois que tu ne reviendrais pas ce soir, tu peux compter sur nous pour faire ton ménage... bonne chance, Fifine, tâche de ne pas coucher à la boîte...

***

La maîtresse de Loupart perdit la suite des souhaits équivoques que lui prodiguait la vieille prostituée. Elle avait rapidement dégringolé l’escalier, passé en trombe devant la concierge, sans rien dire à cette dernière, puis, sur le pas de la porte, inondée de la lumière du soleil qui la frappait en plein au visage, après avoir un instant hésité, tourné à gauche et descendu la rue de Chartres. Tout d’abord, Joséphine ne remarqua rien d’anormal ni de suspect.

Mais son cœur cessa de battre. Deux individus, deux bourgeois, l’abordèrent bientôt ensemble, l’un à droite, l’autre à gauche, et cela se faisait si naturellement, les hommes réglant leurs pas à côté d’elle sur son allure. Il y eut quelques secondes d’angoissant silence, pendant lesquelles Joséphine, l’œil fixe, les pommettes rouges, le sang aux tempes, marchait.      

Soudain son voisin de droite, interrogea très bas :

— Vous êtes Joséphine Ramot ?

— Oui.

— Il faut nous suivre, reprit son interlocuteur...

— Oui.

— Vous ne résisterez pas ?

— Non.

Quelques instants plus tard, Joséphine assise dans un fiacre, entre les deux messieurs aux allures de sous-officiers retraités, traversait Paris.

***

Cette arrestation s’était passée comme un rêve et la jeune femme se demandait par moments si elle n’était pas folle d’être venue se jeter ainsi dans la gueule du loup ! Une sourde colère lui montait au cerveau à l’idée que, sans cesse, on exaltait dans les journaux les mérites des agents, qui procèdent aux captures !

Si toutes les arrestations étaient aussi simples que la sienne les argousins n’avaient pas de quoi se vanter.

Il est vrai qu’elle n’était pas coupable.

Pas coupable ?... hum !... L’affaire du train de Marseille inquiétait Joséphine... et l’histoire de l’automobile enlevée de force. Quels détails la police avait-elle sur ces événements ? Interrogée, Joséphine devrait-elle avouer, nier ?...

— J’aurais dû protester contre mon arrestation.

Ah ! sûrement, elle venait de commettre une épouvantable gaffe, se faisant prendre sans récriminer, comme si elle savait pourquoi on la bouclait... Et le Loupart, qu’était-il devenu ? Et le Barbu ?

— Joséphine Ramot, au cabinet de M. le juge d’instruction Fuselier.

— Ça y est, pensa Joséphine qui suffoquait, me voilà dans les « griffes du curieux » !

Un monsieur bien mis, était assis qui écrivait ; en face de lui dans l’ombre, à contre-jour, quelqu’un se tenait immobile.

— C’est la fille Joséphine Ramot, monsieur le juge, voulez-vous procéder à son interrogatoire ?

Le magistrat releva la tête, son visage était froid, impassible, mais nullement méchant ; l’homme paraissait jeune, il fit plutôt une bonne impression à Joséphine qui s’imaginait le juge d’instruction comme un très vilain être, à la barbe hirsute, aux gestes coléreux, aux paroles brutales.

— Comment vous appelez-vous ?

— Joséphine Ramot.

— Où êtes-vous née ?

— Rue de Belleville.

— Quel âge avez-vous ?

— Vingt-deux ans.

Le magistrat s’arrêta un instant et fixant Joséphine de son regard perçant.

— Vous vivez, demanda-t-il, de la prostitution ?

— Non, monsieur le juge, s’écria-t-elle, j’ai un métier, je suis brunisseuse.

Le magistrat hocha la tête sceptique :

— Vous travaillez, en ce moment ?...

Joséphine s’embarrassa...

— C’est-à-dire que... pour l’instant je n’ai pas d’ouvrage, mais vous pouvez demander... on me connaît chez M. Monthier, rue de Malte, c’est là que j’ai fait mon apprentissage et depuis...

— ... Et depuis que vous êtes devenue la maîtresse de l’apache Loupart dit « le Carré », vous avez cessé d’exercer une profession honnête.

— Pour ça, avoua Joséphine, j’peux pas dire que je ne suis pas la maîtresse du Loupart, mais pour ce qui est de me livrer à la prostitution...

L’homme que Joséphine avait remarqué dans l’ombre et qui depuis ce début d’interrogatoire était resté impassible, s’avança de quelques pas, murmura deux mots à l’oreille du magistrat.

Celui-ci hocha la tête :

— C’est possible, en effet, déclara-t-il...

Et il allait poser une nouvelle question à Joséphine, mais celle-ci brusquement s’était levée, surprise et contente, elle avait reconnu le silencieux témoin : le policier de Lariboisière, qui s’était déguisé en vieille femme et caché dans le lit voisin du sien, le jour où elle avait été victime du Loupart...

— Monsieur Juve, s’écriait-elle, allant vers l’inspecteur, la main tendue...

Cependant l’interrogatoire reprenait. M. Fuselier aborda le point délicat. Longuement le magistrat récapitula pour Joséphine les dernières semaines de sa vie. Et pour terminer :

— ... Vous rentriez ensuite, Joséphine Ramot, en compagnie de votre amant, Loupart dit le Carré et de son second, l’apache le Barbu...

Joséphine, troublée par l’insistance gênante du magistrat qui persistait à la considérer tandis qu’il parlait, s’efforçait de conserver un visage impassible, mais au fur et à mesure que se précisaient dans le récit du magistrat les détails de l’aventure à laquelle elle avait pris part, Joséphine horriblement inquiète sentait qu’elle changeait perpétuellement de couleur et qu’à certains moments ses paupières vacillaient sur ses yeux.

Joséphine, de plus en plus angoissée, redoutait l’instant suprême, où sans force, incapable de résister et ayant sûrement commis quelque grosse gaffe, elle verrait la porte s’ouvrir et apparaître le Loupart, les menottes aux mains, suivi du Barbu, également enchaîné, car sans aucun doute les deux hommes étaient pris, puisqu’on se donnait la peine de l’entendre et de l’arrêter, elle Joséphine, qui en somme dans l’affaire...

À un moment donné le magistrat avait dit : « Vous vous êtes partagé à vous trois, Loupart, le Barbu et vous Joséphine, le produit des vols effectués... »

Sitôt qu’elle put placer un mot Joséphine hurla son innocence. Non, ça n’était pas vrai ! Elle n’avait pas touché un sou de cette affaire, elle ne savait même pas de quoi il s’agissait... La vérité exacte, la voilà : elle était malade à l’hôpital lorsque tout d’un coup elle s’était souvenue que le Loupart lui avait donné l’ordre quelques jours auparavant d’être coûte que coûte à la gare de Lyon, un certain samedi soir à sept heures précises. Or, ce samedi était arrivé, précisément le lendemain de l’attentat dont elle avait failli être la victime ; comme elle se portait beaucoup mieux, elle était partie, obéissant à son amant... elle ne savait rien de plus, elle n’avait rien fait de plus, elle défendait qu’on l’accusât de rien de plus !

Lorsqu’elle eut fini, il y eut un silence.

M. Fuselier trempa lentement sa plume dans l’encre et de sa voix calme, articula, en jetant un coup d’œil du côté de Juve :

— Ce qui paraît nettement établi c’est, en somme, la complicité !

Joséphine eut un sursaut, elle connaissait la redoutable valeur de ce mot...

Sans avoir jamais eu affaire jusqu’alors à la Justice, la jeune femme avait trop entendu décrire les scènes d’instruction pour ne point en comprendre toutes les subtilités. La complicité, c’était l’inculpation !

Elle allait tendre vers le magistrat ses bras tremblants dans un geste instinctif de supplication, mais elle écouta Juve qui prenait la parole, rectifiant doucement les paroles du magistrat :

— Pardon, au lieu de complicité, il suffirait peut-être, dit Juve, de nécessité.

— Je ne vous comprends pas, Juve.

— Il faut nous rendre compte, Monsieur le juge, que cette fille s’est trouvée dans une situation singulièrement embarrassante au lendemain de l’attentat dont elle venait d’être victime et qui, somme toute, avait réussi dans une large mesure, malgré notre promesse de la protéger. Lorsqu’elles raisonnent, avec leur âme simple, les personnes du genre de Joséphine Ramot sont généralement tentées d’accorder leur confiance à qui est le plus fort. Elle est excusable dans une certaine mesure d’avoir obéi aux instructions de son amant, précisément alors que celui-ci venait de remporter sur la police, sur moi-même, je l’avoue, une assez belle victoire...

— Oh ! monsieur, monsieur, s’écria Joséphine qui, surprise, ravie, buvait littéralement les paroles de Juve, mais c’est vrai ce que vous dites, c’est très vrai. Oui, j’ai obéi au Loupart parce qu’il me faisait peur et puis... qu’est-ce que vous voulez ?... Où aurais-je donc été ?... comment oser une seconde fois lui manquer de parole, sûr qu’il ne m’aurait pas ratée.

Intrigué M. Fuselier regardait alternativement le policier et la femme. Il la considérait déjà, c’était évident, comme une inculpée.

— Pardon, Juve, ne nous emballons pas s’il vous plaît... J’ai suivi votre raisonnement, il m’apparaît un peu spécieux et je ne suis guère pour ces sortes de théories. Un animal est-il dangereux ? responsable ou non, je le mets hors d’état de nuire... je le voudrais du moins, car je sais bien qu’il intervient souvent des contingences qui... mais passons... soit : J’adopte votre thèse et ne retiendrai point, contre cette fille, l’affaire du train... Nous avons mieux !

Se tournant vers la maîtresse du Loupart, le juge ayant calculé son effet, demanda brusquement :

— Qu’est devenue Lady Beltham ?

— Quoi ?

— Lady Beltham, qu’est-elle devenue ?

Joséphine était abasourdie par la question ; il semblait que, pour la première fois, on prononçât ce nom devant elle.

Fuselier souffla au policier :

— C’est une forte gaillarde, elle n’a pas bronché.

— Parbleu, fit Juve, vous pensez bien...

Il s’arrêta.

La jeune femme s’était remise de son émotion première, et sans se rendre compte exactement de ce qu’il allait advenir, elle pressentait que si elle avait dans le juge d’instruction un adversaire formel, elle possédait assurément du côté de Juve un puissant appui. Le juge se remit à interroger Joséphine sur le Loupart.

Oh ! Joséphine savait bien qu’elle pouvait invoquer un argument sérieux en sa faveur : la lettre envoyée à la police.

Tout irait bien tant que Juve croyait la lettre authentique envoyée réellement par Joséphine.

Joséphine, brusquement, y était décidée.

Il fallait en finir, elle jouerait l’innocence, coûte que coûte ; on verrait bien ce que cela donnerait et pour rien au monde elle n’en démordrait.

— Si c’est pas malheureux, déclara-t-elle, de penser que tout le monde s’acharne après les pauvres filles qui se sont payé, un jour de printemps, le plaisir d’un amant ! Et puis quoi ? oui, j’ai écouté Loupart, et après ?... c’est-y faire mal que de se donner à l’homme qui vous aime et pour qui l’on éprouve un sentiment ? Qui donc défend de le faire ?... Personne, sauf les curés... et les curés, on les a foutus à la porte !

Il fallait savoir ce qu’ils avaient dans leur jeu.

— Tant qu’il s’est agi seulement de prendre l’argent des autres, je n’ai trop rien dit, y faut se faire une raison, pas vrai, monsieur le Juge ?... mais lorsque j’ai compris qu’il allait se passer du plus vilain, j’ai écrit sans me relire et, tout d’un trait, dans ma lettre à M. Juve, la conversation que j’avais surprise entre Loupart et un inconnu. J’avais deviné qu’ils allaient faire un crime, j’ai tout dit à la police... Alors, savez-vous comment qu’on m’a récompensée ?... Ils sont allés tout raconter à mon amant... probable qu’ils y ont montré ma lettre, car le lendemain après avoir dîné avec Loupart je manquais d’être empoisonnée... je me traînai à Lariboisière... à peine que j’étais à l’hostot, mon amant qui savait que je l’avais trahi, m’ordonnait de revenir avec lui, sans quoi j’allais écoper, j’ai demandé à la Justice de protéger ma vie, en réponse ils m’ont laissé fourrer deux balles dans la peau ! J’ai bien compris qu’il fallait obéir au Loupart. Ah ! c’est du propre que votre justice... et vous pouvez le dire que vous en êtes de sales va...

Juve d’un geste violent, lui coupa la parole, net.

Entraînée par ses récriminations, la pierreuse allait prononcer l’injure définitive, fatale... il ne le fallait pas... Le policier avait trop besoin d’elle et son plan désormais était établi.

M. Fuselier hésitait à transformer son mandat de comparution en mandat d’arrêt...